LE SOUFFLE, film d’Aleksandr Kott

Echanges entre le public et le réalisateur

Vendredi 4 mars 2016

 

ALEXANDER KOTT

Je vous remercie de votre présence et vous pouvez me poser des questions.

PUBLIC

Est-ce que l’absence de dialogue était votre défi artistique ?

ALEXANDER KOTT

Le cinéma a été inventé en tant qu’imagerie et les images racontent des histoires. J’ai déjà tourné des films sans paroles. C’était mon rêve de faire un long métrage de ce type. En tant que réalisateur, c’est parfois plus difficile de travailler avec la parole. Tout s’est déroulé naturellement.

PUBLIC

Merci pour ce film très poétique. Que signifie la présence des barbelés ? L’armée avait-elle enfermé les populations civiles ?

ALEXANDER KOTT

Lors des premiers essais nucléaires de 1949 et pendant les cinquante années qui suivront, les autorités soviétiques procéderont à 456 essais nucléaires dans la région du Semiapalatinsk au Kazakhstan dans le nord-est du pays. Les populations de cette province seront touchées par un niveau d’irradiation comparable à celui qui suivra la catastrophe de Tchernobyl.

Les territoires étaient clôturés. Personne ne pouvait sortir. Les villages restaient coincés. Les gens ne devaient pas savoir ce qui se passait ni diffuser quelques informations que ce soient à l’extérieur. A l’époque l’URSS était en concurrence avec les Etats-Unis sur les essais nucléaires. Le plus important était la date de ces essais et non pas les préparatifs. Les premières personnes n’en connaissaient pas les conséquences.

En faisant ce film, mon concept n’était pas de réaliser un long métrage sur une explosion de ce genre mais d’essayer d’imaginer ce que les êtres humains ressentaient en voyant ce monstre magnifique qu’est le champignon nucléaire. Nous nous sommes renseignés à ce sujet, nous avons regardé beaucoup de documentaires et visuellement c’est vraiment très beau.

PUBLIC

D’où est venue l’idée du scénario ?

ALEXANDER KOTT

A l’origine, je ne devais pas réaliser ce long métrage car celui-ci avait déjà été commencé et s’est trouvé interrompu pour des raisons financières. Lorsque je l’ai repris, j’ai tout changé. Il ne reste rien du scénario initial. Le film a coûté environ un million et demi de dollars et je devais rentrer dans cette enveloppe. Je rêvais de faire un film muet depuis longtemps. Le producteur m’a donné carte blanche. Je suis heureux de dire que j’ai tourné le film que je voulais.

Concernant le bruit du vent, nous avons enregistré quantité de vents au moment du tournage. Ensuite, nous nous en sommes servis au montage. Le motif du vent est un enjeu fondamental. Je voulais que la musique naisse du vent pour s’y fondre à nouveau à la fin du morceau.

Quant à elle, l’explosion nucléaire est le noyau d’une histoire d’amour. Nous pouvons apprécier ce film de manières différentes. Les dernières images en sont l’essence. Nous observons un jeune couple qui vit de manière normale avec le soleil qui se lève le matin et se couche le soir. Normalement, rien ne peut modifier le cours de la vie, de la nature, sauf …

PUBLIC

Pourquoi les personnages sont-ils tristes et ne sourient jamais ?

ALEXANDER KOTT

Je réfléchis … pas tous ! C’est une question importante et je réfléchis … Ils ne sont pas tristes, ils sont pensifs. Mais je promets que dans mon prochain film, les protagonistes seront plus joyeux !

PUBLIC

Je suis née au Kazakhstan. Sur quels lieux avez-vous fait le tournage ?

ALEXANDER KOTT

Nous avons tourné en Crimée. Nous voulions le faire au Kazakhstan mais cela n’a pas été possible.

PUBLIC

Merci pour ce beau film et ces belles images ! Quelle est votre formation ?

ALEXANDER KOTT

Je suis arrivé au cinéma en passant par la photo. Je ne sais pas du tout dessiner même si j’ai essayé d’apprendre ! Avec l’équipe de production, nous avons eu des discussions acharnées en ce qui concernait la ligne d’horizon ! Nous ne voulions pas couper la tête des gens et avec un système de superposition, nous pouvions avoir deux images en une et vice et versa.

C’est un film qu’il fallait préparer à l’avance. Au moment de monter les décors, nous avons aperçu un nid d’hirondelles avec leurs oisillons. Le dernier jour du tournage nous devions faire exploser la maison mais nous ne savions pas quoi faire avec les oiseaux. Nous voulions reporter cette explosion mais le matin même les hirondelles ont commencé à voler et elles sont sorties.

PUBLIC

Que pouvez-vous nous dire sur le choix du titre ?

ALEXANDER KOTT

La traduction française ne correspond pas au titre russe qui signifie L’épreuve. Mais j’aime bien Le souffle. J’en aurais eu connaissance avant, je l’aurais choisi. La dénomination russe, ne correspond pas exactement à cette histoire mais c’était la traduction de The test en version anglaise. Le souffle est vraiment un titre magnifique !

PUBLIC

Comment avez-vous choisi vos acteurs ?

ALEXANDER KOTT

Les visages doivent être expressifs car c’est un film sans paroles. Parfois nous marchons dans la rue et nous voyons un visage expressif. Nous savons tout de suite ce qu’il pense. Il arrive que des personnes soient très belles mais qu’elles aient besoin de paroles.

J’ai trouvé les acteurs masculins très rapidement. Un des deux est un garçon russe étudiant au Gitis qui est un institut de théâtre et des arts de la scène. Pour la jeune fille cela a été plus compliqué. Je souhaitais une jeune fille mais qui n’était plus une petite fille. Nous avions choisi une actrice et deux mois après nous avons changé. Nous avons trouvé Elena, 14 ans, qui est russo-coréenne. Elle est très gênée avec les garçons. Elle avait peur des caméras cela se voyait sur son visage. Elle nous transmettait son état fébrile à travers l’écran.

En ce qui concerne les acteurs non professionnels, nous les avons cherchés en Sibérie. Nous les avons guidés en leur disant de prendre des poses adaptées. La jeune fille, Elena, ne savait pas vraiment sourire et avait plutôt tendance à faire des grimaces. Au niveau du montage, nous avons coupé tous les sourires et nous en avons conservé un juste pour la fin !

PUBLIC

Avez-vous eu des références visuelles ?

ALEXANDER KOTT

Les peintres soviétiques, les jeunes filles casaques aux foulards rouges.

PUBLIC

C’est un très beau film et j’ai vite compris qu’il était plein de symbolismes. Mais où est la mère ?

ALEXANDER KOTT

Effectivement, dans l’histoire il nous manquait la mère. La jeune fille et son père ne se parlent pas. Lorsque nous vivons avec nos proches, nous sommes tellement habitués à vivre ensemble que nous arrêtons de communiquer. La présence de la mère aurait rendu cette chose impossible car cela aurait généré un dialogue. La relation entre la jeune fille et un père assez distant était importante.

PUBLIC

Qu’est-ce que les militaires sont venus faire chez eux la nuit ?

ALEXANDER KOTT

Les militaires sont venus la nuit car le père avait volé les gros clous de chemin de fer qui étaient radioactifs. C’est pour cette raison que les soldats l’ont fait se déshabiller car il avait été soumis aux radiations. A l’époque, la plupart de la population locale travaillait et n’était pas au courant de ce qui se passait.

PUBLIC

Qu’est qui est écrit dans le télégramme ?

ALEXANDER KOTT

Il fallait évacuer les lieux.

PUBLIC

Merci pour ce film qui a été tourné dans des paysages magnifiques et pour la beauté des personnages. Nous avons été surpris.

 

 

Propos recueillis par Laurence Guillemin