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 Daria POLTORATSKAYA, réalisatrice du film Adieu Moskvabad et le public

 Le 2 mars 2016

 

Daria POLTORATSKAYA

Ce film a été présenté lors de différents festivals et une des questions qui m’est souvent posée est de savoir pourquoi y a-t-il tant de migrants en Russie. Il faut savoir que ce pays a la deuxième place en termes de nombre de migrants. Nous pouvons tout à fait avancer un chiffre de 10 millions. La situation ethnique est bizarre. Les migrants sont aussi des personnes avec lesquelles les Russes ont grandi, mais les cultures et mentalités restent bien différentes. Je suis née et j’ai vécu à Moscou. Les gens viennent ici avec des valeurs et des objectifs variés et une tension ainsi que de l’agressivité se ressentent dans la ville.

Ce film ne parle pas que de l’immigration mais également des choix de chacun pour s’en sortir dans la vie.

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Pourquoi Moscou est-elle aussi grise et triste ?

Daria POLTORATSKAYA

J’aime véritablement Moscou et dans le film j’ai essayé de montrer les paysages de cette mégapole. Je dois dire aussi que ce que je vois est la ville de ma jeunesse mais je reconnais qu’elle a changé au fil du temps.

Actuellement, des évènements graves sont survenus. Il y a 3 jours, une nourrice ouzbek a décapité un enfant et s’est promenée dans les rues de Moscou montrant la tête de la jeune victime et en menaçant de se suicider. Après des faits aussi graves, peut-on rester bienveillants ? Oui, c’est possible mais en ayant ce genre d’évènement en arrière-pensée.

Je ne veux pas donner une image de tristesse de la vie à Moscou. Dans le film, il y a ce passage avec cette chanson qui unit Hassan et Maria et dont le compositeur est arménien. Cela m’a rappelé l’époque où la nationalité des gens importait peu. Ils pouvaient partager des moments ensemble mais plus maintenant à cause de cette ambiance électrique.

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La façon dont vous parlez de la corruption dans le film nous incite à penser qu’il est difficile d’en parler ?

Daria POLTORATSKAYA

En fait, la corruption n’est un secret pour personne en Russie. Ce n’est pas un long métrage sur ce problème car tout le monde en connait l’existence. Les spectateurs prennent la corruption comme toile de fond et comprennent qu’il y a autre chose dans ce tournage. On peut rappeler qu’une partie des fonds pour la production film proviennent du ministère de la Culture.

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L’homme russe n’a vraiment pas l’image d’une personne bien sous tous rapports dans ce film. Etait-ce voulu et pourquoi ?

Daria POLTORATSKAYA

Pas tous ! Il y a aussi un homme bien dans le film. Il faut les chercher mais il y en a !

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Avez-vous montré le film en Russie ?

Daria POLTORATSKAYA

Ce film a été montré lors de plusieurs festivals et systématiquement lorsque les gens le voient, ils trouvent que le thème est sensible et explosif. Ils vont au-delà du film pour comprendre ce problème de migrants.

Je suis parfois un peu gênée lorsqu’avec ce film on perçoit Moscou comme une grosse mégapole qui exerce un pouvoir et comment les individus peuvent être écrasés. Ce qui est intéressant, c’est la publicité que nous voyons dans ce long métrage qui broie un homme dans un mixer.

Cela donne l’illusion que finalement dans la vie il faut savoir quels sont ses objectifs et les poursuivre.

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Etait-ce difficile de travailler avec l’actrice Maria MACHKOVA, elle-même fille d’un acteur connu en Russie ?

Daria POLTORATSKAYA

Ce n’est pas la première fois que nous nous retrouvons sur un tournage ensemble. C’est important de travailler avec des personnes de confiance. Cette actrice ne se plaint pas et donne tout à son métier. C’est très facile avec elle.

Sur le plan psychologique, il a été plus compliqué de collaborer avec Hassan qui est un acteur ouzbek. Il est plus habitué à jouer des rôles de personnages mafieux. Ce rôle de migrant l’a poussé à aller chercher des ressources au fond de lui-même. Il n’était pas tout à fait à l’aise dans ce rôle mais il s’en est très bien sorti !

Les acteurs en toile de fond étaient organisés par clans. Ils arrivaient sur le tournage très bien habillés et c’était compliqué car il faillait les mettre à la « sauce » du film, c’est-à-dire en costume de migrant. Nous avons instauré une relation de confiance pour qu’ils ne pensent pas que c’était un film contre les migrants.

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Ce film va-t-il sortir en Russie ?

Daria POLTORATSKAYA

Pour le moment il n’a pas prévu de le diffuser en Russie. Il y a une forte concurrence avec les films américains. Actuellement nous sommes en discussion pour une diffusion à la télévision russe. Nous avons aussi discuté avec les cinémas spécialisés (temporaires). Les festivals sont souvent une occasion de projeter le film.

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Moskvabad est-il un terme inventé ou est-il utilisé par les Moscovites ?

Daria POLTORATSKAYA

C’est un terme inventé par des journalistes pour parler de l’immigration en provenance d’Asie Centrale à Moscou – « Moskva » est le nom russe de Moscou, et on retrouve le suffixe « bad », qui peut être assimilé à « ville », dans le nom de plusieurs villes d’Asie Centrale.

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Vous parliez d’une situation tendue à Moscou. Est-ce du racisme ?

Daria POLTORATSKAYA

Il faut se souvenir que beaucoup de personnes ont vécu l’époque soviétique, où l’amitié entre les peuples était une valeur mise en avant. Il n’y a pas de racisme de manière ouverte et déclarée. Parfois il y a des moments racistes qui peuvent arriver mais cela reste encore couvert. Malheureusement, demain cela pourrait être plus violent.

 

Propos recueillis par Laurence Guillemin